Suitengu
Les présentations de mes chères voisines étant faites dans mon précédent post, vous suivrez plus facilement la suite de mes aventures.
Il y a une tradition au Japon qui veut qu'une femme enceinte se rende dans un temple au cours de son 5e mois, pour Tokyo il s'agit du très célèbre Temple de Suitengu (prononcer Suitengou).
Ce temple est dédié à l'accouchement facile et sans souci pour la maman et le bébé. Bien que le temple accueille le public tous les jours, la tradition veut que la femme enceinte s'y rende le jour du chien selon le calendrier chinois (戌の日 : prononcer inu no hi).
Je vois donc ma voisine Madame Imaï venir me voir un beau jour avec son calendrier me demandant de fixer la date. Etant donné qu'il n'y a que 2 ou 3 jours du chien par mois, la date est vite choisie et nous convenons d'y aller en compagnie de Madame Kobayashi et de sa fille Non-chan, étudiante et libre ce jour là.
Je découvre ce temple que je ne connaissais absolument pas. Je suis surprise du monde qui se dirige vers la porte d'entrée mais aussi plus étonnant de tous les démarcheurs qui encadrent les passants de chaque côté du trottoir, proposant des sacs au contenu publicitaire, des échantillons de crême anti-vergétures, des coupons de réduction pour des vêtements de grossesse ou d'allaitement, des catalogues de vente par correspondance d'articles de puériculture mais aussi des pubs pour des assurances, des mutuelles ou des cours particuliers pour les enfants ...
Si vous acceptez tout ce qu'on vous donne, vous arrivez au temple avec les bras chargés et repartez sans aucun doute avec un bon mal de dos !
Les femmes viennent seules, en famille, avec leur conjoint, leur maman, une amie. Lorsque vous arrivez, tout est organisé pour gérer au mieux la foule. Mais que viennent chercher ses femmes vous demandez-vous ?
Le temple offre la possibilité de venir faire une prière et de recevoir une bénédiction (payante) pour s'assurer d'un accouchement facile, sans complication mais c'est aussi l'endroit où l'on vient acheter sa "haraobi" 腹帯, une ceinture de coton que l'on noue autour de son ventre chaque jour jusqu'à l'accouchement.
Une pratique propitiatoire, qui est censée porter bonheur donc mais qui a aussi des vertus de confort. On dit ici que cela soulage le bas du dos du poids du ventre grossissant mais aussi que cela assure une douce chaleur qui garde le ventre souple. Au Japon, on insiste beaucoup pour que les femmes enceintes gardent leur ventre au chaud (les pieds et les mollets aussi d'ailleurs). Garder ces zones au chaud permet de garder la chaleur du corps et ne pas se refroidir car alors le corps est plus tendu et donc moins propice à un accouchement facile. J'entends fréquemment après les mots de salutations usuels lorsque je rencontre quelqu'un : "ki o tsukete, hienaï yô ni" (fais attention, ne te refroidis pas). La maison de naissance où je prépare le grand jour a les mêmes recommandations.
Je porte donc chaque jour ma haraobi ou plus simplement lorsque je dois faire vite une ceinture élastique douce et qui tient chaud (car nous sommes en hiver, il y en a de plus légères pour les autres saisons) qui s'enfile en une seule fois et qui est très confortable. La mienne est sobre mais pour vous donner un exemple un peu kitsch, voir modèle Hello Kitty ci-dessous ! Trop cute comme disent les Québécois (coucou Caroline et Marie-Pierre !). Ces modèles plus modernes s'appellent des hara maki (= qui entoure le ventre) et sont disponibles pas uniquement pour les femmes enceintes, les femmes en portent en dehors de leur grossesse pour ne pas sentir d'air froid dans le dos par ex).
J'ai donc rempli mon papier et reçu ma hara obi avec émotion.
J'ai laissé Madame Kobayashi me tenir la main et faire une prière pour moi.
Madame Imaï à gauche sur la photo, Madame Kobayashi à droite
Nous avons poursuivi la journée par un repas dans un restaurant d'okonomiyaki (plat japonais, un peu entre une crêpe et une omelette qui se prépare sur une plaque chauffante).
De retour à la maison, nous avons dégusté du thé et du riz avec des haricots rouge (porte-bonheur lui aussi) et installé la ceinture autour de mon ventre. Sur la photo, vous verrez un petit morceau de tissu brodé vert pâle, il s'agit d'un omamori, un porte-bonheur offert par le temple.
Je garde un merveilleux souvenir de cette journée, touchée par cette solidarité féminine, ce rituel qui donne de l'importance à la femme qui porte la vie, une date sur son calendrier de grossesse pas comme les autres, des moments d'échange aussi sur ces vies de femmes (le déjeuner fut propice aux discussions sur leurs histoires personnelles : l'enfant qui n'est pas venu, la perte d'un enfant, les projets d'enfant ...), des réflexions sur la vie qui rapprochent les êtres.
Autrefois, on utilisait le tissu après la naissance pour confectionner des langes. Dans certaines régions, la femme qui avait eu un accouchement sans souci rapportait sa ceinture au temple qui la brûlait avec d'autres dans les premiers jours du nouvel an.
Personnellement, je conserverai ma hara obi précieusement, un joli souvenir de tous ces jours d'attente ...