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nakayoshi
23 mars 2011

le jour où la terre a tremblé

Les récents événements nous ont tant accaparés qu'il m'a été bien difficile de prendre le temps de vous répondre à tous de manière individuelle mais sachez que tous vos messages, tous vos petits mots et toutes vos pensées nous ont beaucoup touchés.

Il y a déjà plus d'un mois que la terre nous secouait, le corps, la tête et les tripes, allait suivre le tsunami dévastateur qui allait plonger des milliers de personnes dans le dénuement le plus total et l'état de la centrale nucléaire de Fukushima causer beaucoup d'inquiétude au pays.

Je n'oublierai jamais ce vendredi 11 mars, jour où la terre a tremblé et où je me suis réfugiée sous une table d'écolier. Je me trouvais à l'école d'Alix pour une réunion parents-prof. Alix me montrait une exposition de photos prises lors du grand concert de l'école le mois dernier, nous choisissions ensemble celles que nous voulions commander. Nous parlons encore un peu et je me rends compte que je suis en retard pour la réunion. Quelques minutes qui nous permettront d'être ensemble lorsque l'école sonne l'alerte au tremblement de terre. "Jishin jishin". J'essaie de me rassurer "Oh sans doute une petite secousse, comme nous avons déjà connu, ce n'est rien".

Les consignes de l'école sont claires. Les enfants les connaissent par coeur. Il y a des exercices réguliers. Lorsque  l'alerte sonne, il faut se protéger, se mettre à l'abri sous une table. Ce jour là, nous sommes près de l'accueil. Plusieurs petits bureaux en métal bien lourds. Les quelques enfants présents à cet endroit vont se glisser dans le creux des bureaux prévus pour les jambes, on me demande de faire de même. Alix choisit une autre table, moins solide mais moins exposée (moins de choses qui peuvent tomber dessus). J'ai du mal à tenir dans ce si petit abri, je tiens fort Louise contre moi, elle pleure d'être ainsi tenue si fermement et de ne pas comprendre ce qui se passe, une tétée lui apporte instantanément du réconfort. La secousse s'installe. Je ne saurais pas dire à partir de combien de secondes le coeur se met à battre très fort, à partir de combien de secondes on réalise que cela n'est pas juste "comme d'habitude" ... 30 peut-être. 40, 50, on dépasse la minute. Le coeur bat très fort, je répète en boucle à Louise "ça va s'arrêter, ça va s'arrêter ..." et cela ne s'arrête pas. Le bruit est inoubliable, ce "kong kong kong" incessant des meubles qui s'entrechoquent, les grincements des portes, des fenêtres, quelques objets en hauteur qui tombent. Le temps semble durer une éternité, je pense à Gabriel et me rassure en me disant qu'au jardin d'enfants, ils ont un grand, un très grand jardin et qu'ils ont dû les regrouper au centre pour leur éviter d'être blessés par des choses qui peuvent tomber.

Les deux minutes ont été dépassées. Nous nous en sortons bien mais je me demande si cela a secoué plus fort ailleurs, où ? quelle région ? Nous saurons plus tard que 30 minutes après, c'est la mer qui se déchaîne et emporte tout sur son passage sur des dizaines de kilomètres dans la région de Tohoku.

Tout le monde sort abasourdi de cette expérience. Les mamans se ruent sur leur portable pour joindre leurs enfants mais les réseaux sont saturés. Beaucoup d'élèves sont sur le chemin du retour ou bien déjà rentrés à la maison (au Japon les enfants rentrent seuls ou entre copains), tout le monde se demande si tout va bien pour tout le monde.

Je dois aller chercher Gabriel. Je rentre tout d'abord à la maison avec Alix, retrouve mes chères voisines dans la rue et prend la décision (difficile) de laisser Alix chez Madame Imaï. Je vais devoir aller chercher Gabriel à pied, les bus sont pris dans un énorme embouteillage, et s'il y a des répliques, il vaut mieux être libre de ses mouvements. 30 minutes de marche avec l'inquiétude que des choses puissent tomber des immeubles comme des vitres cassées. Je prépare un petit sac avec de l'eau, des couches, ma "trousse à bobo", un paquet de biscuits, des mouchoirs en papier, un sac plastique, tout cela machinalement puis nouvelle secousse, sous la table avec Louise, Alix chez la voisine. Je repasse les voir avant de partir chercher Gabriel.

Me voici sur la grande avenue, noire de monde, le ciel est gris, un ciel de plomb. Les gens sont nombreux dans la rue, ils se croisent et pourtant un silence de mort. C'est une impression très étrange, toutes ces personnes qui marchent silencieusement comme des automates, cela restera graver dans ma mémoire.

Louise a faim, je demande asile au koban du coin (poste de police de quartier), ils sont en plein état d'alerte mais m'accueillent avec beaucoup de gentillesse. Ils me proposent leur salle de repos, une pièce en tatami, je me fais une place entre toutes leurs affaires personnelles et m'installe pour faire téter Louise confortablement. Je lui change sa couche, la met sur mon dos pour la porter plus facilement avec mon porte bébé, installe mon manteau spécial de portage (qui couvre maman et bébé en même temps) car il fait froid et repars avec les recommandations de prudence de la part des policiers.

Louise s'est endormie en deux minutes dans mon dos, repue, au chaud et rassurée. Je pars chercher Gabriel. Je retrouve tous les enfants autour d'Ajimi-sensei, le professeur de la classe de Gabi, en pleine lecture d'un kami-shibai (grandes feuilles cartonnées, illustrations du côté recto tourné vers les enfants et histoire écrite au verso pour le lecteur), ils ont tous leur "bosai zukin" (un petit capuchon fait d'un tissu matelassé) sur leur tête, quelques petites filles pleurent et sont réconfortées dans les bras des nombreux professeurs, je trouve Gabriel calme, content de me voir et qui me dit "s'il te plait maman, j'aimerais bien connaître la fin de l'histoire". Oui, Gabriel, nous pouvons bien attendre la fin de l'histoire.

Le retour à la maison se fait à pied avec Gabriel et sa copine Akari qui habite dans le même coin, sa maman, sa petite soeur et son petit frère. Nous marchons lentement avec les petits et rentrer ensemble m'apaise, la conversation divertit les enfants.

Depuis la secousse, j'avais essayé de joindre Nicolas de nombreuses fois mais les lignes étaient saturées. Pour Gabriel et moi, c'est un grand soulagement de le trouver avec Alix chez notre voisine. Nicolas est parti tout de suite après la secousse et est rentré à pied, une bien longue marche mais nous avons pu tous être réunis rapidement, c'est vraiment ce qui était le plus important. Pour Nicolas, grosse secousse vécue du haut de ses bureaux, pour lui le souvenir des grues du chantier voisin qui tanguent, les étagères roulantes qui coulissent toutes seules et les bruits de l"immeuble qui grince.

La nuit qui a suivi a été éprouvante, les répliques se sont enchaînées et je me demandais si cela allait s'arrêter. La terre grondait et nous nous sentions tout petits et vulnérables. Alix et Gabriel ont leur chambre mais nous avons aussi chez nous une installation permanente de chambre familiale avec un couchage pour tous nos enfants. Cela peut être pour les épisodes de maladie, pour pouvoir prêter les chambres quand nous accueillons du monde, pour éviter de faire fonctionner trop de clim pendant les nuits de canicule de l'été à Tokyo et maintenant pour les moments de tremblements de terre.

Il m'aura fallu presque 2 semaines pour ne plus avoir l'impression de "tanguer". Les secousses ont continué assez régulièrement depuis, de petites secousses, quelques unes encore un peu impressionnantes. Celles que je déteste sont celles qui se produisent la nuit. Avant lorsque cela arrivait, je n'avais pas le temps de me demander ce qu'il fallait faire, encore dans mon sommeil, la secousse s'arrêtait mais depuis celles du 11 mars, le coeur se met à battre fort et la décharge d'adrénaline dans le corps m'empêche de me rendormir.

Quelques nuits courtes donc à cause des répliques puis explosion à la centrale nucléaire de Fukushima. Après avoir lu les nouvelles apocalyptiques des média français, les avoir comparées avec d'autres sources d'informations (britanniques, américaines, japonaises), reçu les courriels de notre ambassade nous recommandant de partir vers le sud ou de quitter le Japon, pris contact avec des personnes compétentes, recroisé le tout et donc très peu dormi, nous avons choisi de nous éloigner. Départ précipité pour Nagoya tout d'abord pour rejoindre Manu et Miki et leurs enfants puis voyant que la situation n'évoluait pas favorablement, nous sommes allé trouver refuge chez Madame Ikuta, ma "maman" japonaise, notre famille de coeur depuis nos années d'étudiants, retrouver Michiko, leur fille et aussi amie intime et profiter de leur amitié chaleureuse.

La situation ne se débloquant pas, j'ai choisi de rester à Kyoto en louant une petite maison de vacances pour touristes (prix d'ami et de solidarité de la part l'agence française de location étant donné les circonstances), une semaine seule avec les 3 enfants, Nico ayant repris le chemin de la capitale. Nous étions en pleine période de vacances de printemps, ce sont des vacances importantes car elles marquent la séparation entre deux années scolaires. Tout finit en mars ici et reprend en avril (école, université, fiscalité ...), je me suis dit qu'il fallait profiter de ce temps si précieux pour les enfants. Le temps nous a permis de passer de belles journées dehors, de visiter les nombreux temples, le musée du manga, des parcs, le jardin botanique, goûter des pâtisseries locales (dango, mochi pour les amateurs ...). Quelques rencontres sympathiques au parc avec d'autres familles en "exil" comme nous et que nous avons revues depuis.

Nous sommes rentrés à Tokyo pour la rentrée des enfants le 6 avril. Alix est en 4e année, Gabriel en 1ere, c'était donc LA grande rentrée avec grande cérémonie. La vie continue à Tokyo, elle a d'ailleurs toujours continué. Nous restons en état de vigilance pour le taux de radioactivité dans l'air. Selon les sources japonaises mais aussi françaises, il n'y a pas d'inquiétude à avoir pour le moment. Le taux avait légérement augmenté sur Tokyo entre le 20 et le 25 mars mais nous étions déjà à Kyoto.

Reste la question de l'alimentation. C'est un grand débat et je ne me lancerai pas dans l'énumération de tous les arguments. Par précaution, nous utilisons de l'eau en bouteille et je me dis chaque jour combien j'ai de la chance d'allaiter Louise et de ne pas me faire de souci pour ça. Par précaution aussi nous achetons ce qui est cultivé au sud. L'alimentation moderne donne aussi le luxe (et l'aberration quand on y pense) de consommer de la truite du chili avec des asperges du pérou et du potiron de nouvelle-zélande, tout le contraire de ce que nous avons toujours fait en mettant un point d'honneur à consommer local et bio ! vive donc les pesticides des légumes ayant voyagé des semaines par bateau et emballés dans du cellophane, je pense qu'il vaut encore mieux essayer de manger ce qui vient de régions éloignées de Fukushima, privilégier la région du Kansai. Que penser pour le long terme ?

Nous espérons que plus aucune secousse ne vienne ébranler de nouveau la centrale.

Le plus urgent ce sont les milliers de personnes toujours dans une situation précaire. Les initiatives humanitaires et de solidarité se sont mises en place. Petit à petit, il va falloir reconstruire mais quel travail et sur quelle tristesse. Tremblement de terre, tsunami puis alerte nucléaire. La troisième catastrophe, dûe au tsunami, a vraiment plongé la région dans des années noires. Des centaines de personnes endeuillées, expropriées, relogées comme on peut, l'inquiétude pour la santé surtout des petits jusqu'aux conséquences économiques comme la perte d'activité pour les exploitants agricoles ... et la grande désolation de tous les habitants de cet endroit qui doivent faire face à l'isolation. Juste penser à eux et ne pas les oublier.

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Alix et Gabriel dans la rue devant notre maison, le matin avant de partir à l'école. A cause des nombreuses répliques, les enfants doivent porter sur la tête leur bosai zukin, une capuche en molleton, afin de se protéger d'éventuelles chutes d'objets, de bris de glace.

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Commentaires
M
Ohhhh comme je suis heureuse d'avoir de vos nouvelles !!! J'ai lu cette histoire et j'ai vraiment eu l'impression d'y être quelques instants !!! Ça m'a beaucoup émue, j'en ai encore les larmes aux yeux !! Les liens du coeur restent innnébranlables !!! Malgrés toute cette déasolation, l'amour vous a tenu solidement !! Je pense souvent encore à vous !!
A
Ton récit nous touche beaucoup, on a beaucoup pensé à vous..<br /> <br /> Tes enfants sont toujours aussi mignons..merci pour les photos que Alix a envoyé à Lucie!!
M
Je profite d'un moment calme (il est 04h11 in thé morning !! Administration de médicaments à un Sacha malade) pour lire ce long et palpitant récit d'une tranche de vie.<br /> Tout est plus clair et je réalise mieux ce qu'ont été ces dernières semaines. Bravo pour cette force intérieure , il faut avoir vécu cette intensité de stress pour savoir ce que nous avons vraiment dans les tripes ! Ça, c'est fait !!!<br /> Gros bisous mon amie de longue date !<br /> Mélanie
nakayoshi
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